CHAPITRE 11: ORGANES LYMPHATIQUES
Les organes lymphatiques renferment une grande quantité de lymphocytes (revoir 6.1.2.2.1). Les lymphocytes prennent origine du tissu myéloïde mais certains, à des stades encore peu différenciés, le quittent et migrent jusqu'aux organes lymphatiques, où ils complètent leur maturation (revoir 6.2.2.4). Les organes lymphatiques n'accomplissent pas tous la même fonction et ne sont pas morphologiquement et fonctionnellement reliés entre eux, comme le sont par exemple les organes du système digestif ou encore ceux du système nerveux. Voilà pourquoi certains auteurs préfèrent ne pas parler de "système" lymphatique.
Anatomiquement, on peut diviser les tissus lymphatiques en deux grands groupes: tissus encapsulés, recouverts d'une capsule de tissu conjonctif, donc des organes, et tissus non encapsulés, enfouis dans la paroi de différents organes (non lymphatiques); ce dernier type de tissu lymphatique ne peut être désigné organe véritable.
11.1 TISSU LYMPHATIQUE NON ENCAPSULE: NODULES LYMPHATIQUES
La paroi de presque tous les organes tubulaires renferme, parmi son tissu conjonctif, des lymphocytes libres (revoir 3.2.3). Ces lymphocytes forment un système de défense contre les microbes envahisseurs. Certains organes particulièrement exposés au monde extérieur: voies respiratoires, tube digestif, voies génitales, ne sont pas tapissés d'un épithélium suffisamment épais pour les protéger. Ils possèdent, dans le tissu conjonctif de leur paroi, de véritables agrégations de lymphocytes formant des masses plus ou moins sphériques: les nodules lymphatiques. Bien qu'enrobés du tissu conjonctif lâche de l'organe, les nodules ne peuvent être considérés comme encapsulés (revoir 3.3).
On retrouve donc les nodules lymphatiques aux sites des réactions immunitaires et de formation des capillaires lymphatiques et de la lymphe (revoir 10.5). Les nodules lymphatiques sont souvent solitaires mais peuvent aussi se regrouper, comme les plaques de Peyer du petit intestin, l'appendice, les amygdales. Ils n'existent pas dans la vie prénatale mais se développent postnatalement, en réponse à des stimulations antigéniques, et persistent de façon permanente. Ceci les distingue de l'infiltration lymphocytaire produite localement et provisoirement suite à une stimulation ponctuelle, par exemple une éraflure de la peau.
Sur coupe histologique colorée au H&E, le nodule lymphatique apparaît bleu car les lymphocytes entassés possèdent un noyau basophile bien coloré et peu de cytoplasme, soit un taux nucléoplasmique fort élevé. Ces cellules représentent surtout des lymphocytes en voie de maturation fonctionnelle, qui se différencieront en plasmocytes. Lymphocytes et plasmocytes mûrs quittent le nodule pour s'étendre ailleurs dans le tissu conjonctif de l'organe et combattre l'envahisseur.
11.2 TISSU LYMPHATIQUE ENCAPSULE
Le tissu lymphatique encapsulé forme de véritables organes, recouverts d'une capsule conjonctive. Ils accomplissent une double fonction. Premièrement, ils servent de centre de maturation lymphocytaire en réponse aux besoins en défense de l'organisme, besoins signalés par les antigènes apportés aux organes lymphatiques par la circulation sanguine ou lymphatique, selon l'organe. Deuxièmement, ils drainent (nettoient) la lymphe ou le sang en y retirant les cellules vieillies et en y ajoutant des lymphocytes neufs.
11.2.1 NOEUDS LYMPHATIQUES
Les noeuds lymphatiques sont les seuls organes lymphatiques placés sur le parcours des vaisseaux lymphatiques. Le contenu de ceux-ci, la lymphe, prend origine de l'excès de fluide intercellulaire, exsudé des capillaires veineux et recueilli par les capillaires lymphatiques. Elle se compose de lymphocytes et de fluide intercellulaire enrichi de produits de la digestion, celle des graisses en particulier. Tel qu'expliqué au chapitre précédent, les capillaires lymphatiques s'unissent pour former de plus gros vaisseaux, eux-mêmes tributaires de vaisseaux encore plus gros qui rejoignent, finalement, le canal thoracique et le canal lymphatique droit. Ceux-ci se déversent dans la circulation veineuse. Les vaisseaux lymphatiques d'un certain calibre sont munis de valves qui empêchent la lymphe de circuler à rebours.
Ceci dit, il n'y a toutefois pas de lymphe qui soit déversée dans la circulation veineuse avant d'avoir traversé un noeud lymphatique. Les noeuds lymphatiques abondent aux aisselles et aux aines, le long des grands vaisseaux du cou, du thorax et de l'abdomen. Ils ne sont donc pas nécessairement localisés là où la lymphe se forme, comme c'est le cas des nodules non encapsulés, mais sur le parcours des principaux tributaires des canaux thoracique et lymphatique droit.
Le noeud lymphatique est une structure en forme de pois, possédant donc une surface convexe et une autre concave, aussi appelée hile. Encapsulé de tissu conjonctif dense, le noeud est partitionné incomplètement par des septa conjonctifs provenant de la capsule. En coupe colorée au H&E, on distingue surtout ses éléments cellulaires, en plus de tissu conjonctif, mais les vaisseaux lymphatiques le traversant se visualisent difficilement. La densité relative des cellules divise le noeud en deux régions principales: le cortex, périphérique sous la capsule conjonctive et épousant sa convexité, est densément peuplé, et la médulla, centrale et se continuant dans le hile, renferme quant à elle moins de cellules.
Les vaisseaux lymphatiques traversent le noeud du cortex vers la médulla: plusieurs vaisseaux lymphatiques dits afférents percent la capsule conjonctive sur la face convexe et déversent leur lymphe dans le sinus sous-cortical, vaisseau lymphatique agrandi immédiatement sous la capsule conjonctive; à partir du sinus sous-cortical émergent les sinusoïdes radiaires qui, traversant le noeud de façon radiaire, transportent la lymphe au travers du cortex puis de la médulla vers le hile; dans la médulla, les sinusoïdes se réunissent en sinus plus gros, les vaisseaux lymphatiques efférents, qui sortent du noeud par le hile.
La paroi des sinus et des sinusoïdes se compose de cellules réticulo-endothéliales qui assurent une fonction structurale (comme les cellules endothéliales) et de surcroît sécrètent de fines fibres réticulaires. Celles-ci apportent un support aux vaisseaux lymphatiques et forment, en plus, un réseau tridimensionnel dans lequel résident les éléments cellulaires du noeud.
Des vaisseaux sanguins irriguent également le noeud lymphatique, comme cela se doit pour tout organe. Une artère pénètre dans le hile, se ramifie en artérioles dans la médulla et en capillaires dans le cortex, pourvoyant le tissu en sang oxygéné; ces capillaires se réunissent en veinules dans le cortex puis en veines dans la médulla. La circulation veineuse emprunte le chemin inverse de la circulation artérielle; une veine ressort du noeud par le hile.
Entre les sinusoïdes lymphatiques et les vaisseaux sanguins, et supportés par le réseau de fibres réticulaires, résident les éléments cellulaires du noeud lymphatique: lymphocytes, plasmocytes et macrophages. Certains auteurs décrivent un élément additionnel, le nodulocyte, intermédiaire entre lymphocyte et plasmocyte. Dans le cortex, les cellules densément regroupées forment des configurations sphériques appelées nodules. Il faut donc bien spécifier de quels "nodules" on parle: les nodules lymphatiques (11.1) ou ceux à l'intérieur du noeud. Dans la médulla, les cellules, en densité moindre, se regroupent non pas en nodules mais en cordons parallèles aux vaisseaux sanguins (artérioles et veinules) et lymphatiques efférents.
Si le noeud lymphatique subit une stimulation antigénique, une région plus claire se distingue au centre des nodules corticaux: le centre de germination; il s'agit de lymphocytes immatures, donc plus gros et plus pâles (cellules plus grosses et ayant un taux nucléoplasmique moins élevé). Autour du centre germinal, les lymphocytes mûrs, petits et foncés, s'accompagnent de plasmocytes et macrophages. Certains auteurs appellent le centre germinal "nodule secondaire", et le nodule entier "nodule primaire". Les cellules médullaires en cordons consistent en lymphocytes mûrs et plasmocytes.
Le noeud lymphatique "filtre" la lymphe qui le traverse: les vieux lymphocytes y sont retirés et phagocytés par les macrophages, et des lymphocytes neufs y sont ajoutés. Dans le noeud s'accomplit aussi un passage de lymphocytes de la circulation sanguine à la circulation lymphatique. Les macrophages des organes lymphatiques ne se contentent pas d'une fonction phagocytaire; ils participent activement et de plusieurs façons à la fonction immunitaire.
11.2.2 RATE
Avec les nodules non encapsulés et les noeuds lymphatiques, la rate constitue le troisième site important de réactions immunitaires. Toutefois, alors que les nodules non encapsulés étaient exposés aux antigènes convoyés par le fluide intercellulaire et les noeuds lymphatiques à ceux convoyés par la lymphe, la rate, elle, est exposée aux antigènes transportés par le sang. Aucunement desservie par la circulation lymphatique, la rate ne dispose que d'une circulation sanguine.
La mince capsule conjonctive qui recouvre la rate en laisse voir la couleur pourpre, indice d'un contenu sanguin élevé. Elle projette de minces septa conjonctifs dans la substance de l'organe, septa qui enrobent les vaisseaux sanguins spléniques. Autour des septa se rencontrent des petits nodules de lymphocytes, nodulocytes, plasmocytes et macrophages; cette région prend le nom de pulpe blanche. La pulpe blanche renferme surtout de jeunes lymphocytes, tels que ceux des nodules corticaux du noeud. Elle correspond donc au cortex du noeud lymphatique. Entre les nodules, des régions moins denses et richement vascularisées contiennent des cellules organisées plutôt en cordons, les cordons de Billroth; il s'agit de la pulpe rouge. Elle correspond à la médulla du noeud lymphatique.
L'artère splénique se ramifie avant de pénétrer dans le hile de la rate. Les ramifications, enrobées des septa conjonctifs, s'embranchent en artérioles qui traversent la pulpe blanche. Au sortir des nodules on les appelle artères pénicillées (il s'agit en fait d'artérioles), qui se ramifient en ellipsoïdes dans la pulpe rouge. La circulation veineuse suit le parcours inverse. Les cellules réticulo-endothéliales qui forment la paroi des ellipsoïdes produisent des fibres réticulaires.
Les macrophages spléniques participent aux réactions immunitaires en plus de phagocyter les vieilles cellules sanguines et plaquettes. Le fer et la bilirubine de l'hémoglobine sont recyclés. On appelle la rate le cimetière du corps. La rate est un organe hémopoïétique durant la vie embryonnaire, et même postnatale chez plusieurs animaux, quoique non chez l'humain.
11.2.3 THYMUS
Masse triangulaire aplatie, rose grisâtre, localisée dans le thorax sous le sternum, le thymus a plus ou moins la forme d'une feuille de thym, d'où son nom. Il atteint sa taille maximale pendant la vie foetale et la conserve à peu près jusqu'à la puberté, après quoi il régresse. Une thymectomie chez l'animal mûr n'entraîne pas de conséquences fatales, mais opérée chez le nouveau-né, elle résulte en incapacité de l'animal de développer une réponse immunitaire: il en meurt. Le thymus est essentiel au développement des autres organes lymphatiques; il est le site de maturation d'une catégorie de lymphocytes, les lymphocytes-T qui, via le flot sanguin, iront loger dans les noeuds lymphatiques et la rate.
Organe encapsulé, le thymus est incomplètement divisé en lobules par des septa continus avec la capsule. On distingue une région corticale, sous la capsule et les septa, contenant des lymphocytes en densité élevée, et une région médullaire, plus centrale, à moindre densité cellulaire. On donne parfois le nom de thymocytes aux lymphocytes thymiques situés dans les régions à forte densité. Tout comme la rate, le thymus n'est pas traversé par la circulation lymphatique. Les cellules-souche lymphocytaires l'atteignent via le flot sanguin et les lymphocytes mûrs s'en évadent par la circulation sanguine. Le thymus est donc richement vascularisé.
La paroi des sinusoïdes thymiques est composée de cellules réticulo-endothéliales qui fabriquent de fines fibres réticulaires. Des auteurs préfèrent les appeler cellules réticulaires car elles auraient une origine embryonnaire différente des cellules réticulo-endothéliales vues ailleurs. Dans la médulla, ces cellules s'enroulent sur elles-mêmes, en pelure d'oignon, et définissent ainsi des structures caractéristiques du thymus, les corpuscules thymiques ou corps de Hassall. Le centre du corpuscule dégénère en une substance amorphe acidophile qui peut devenir calcaire.
Les cellules réticulaires thymiques sécrètent l'hormone thymique ou thymosine, dont le précurseur, la thymopoïétine, favorise la différenciation de cellules-souche qui lui sont sensibles en lymphocytes-T. Le thymus subit lui-même l'influence de l'hormone de croissance (GH, une hormone hypophysaire) et des hormones thyroïdiennes, qui en favorisent la croissance et dont les effets s'exercent durant la croissance. Au contraire, les hormones stéroïdes, notamment les hormones sexuelles dont la quantité augmente considérablement à la puberté, favorisent la régression du thymus. Quand le thymus régresse, des cellules adipeuses s'accumulent dans les septa conjonctifs.