EMBRYOLOGIE HISTORIQUE ET THEORIQUE (cours 12)

Ce que nous avons vu dans ce cours: l'étude des transformations morphologiques au cours de l'embryogenèse (embryologie descriptive) ainsi que la comparaison d'embryons de différents groupes zoologiques et avec les animaux adultes, n'explique pas le comment et le pourquoi de l'ontogenèse. Comment une cellule unique, l'oeuf fécondé (zygote), conduit-elle à un animal extrêmement complexe et qui, malgré quelques variations dans les détails, reproduit avec précision la forme parentale?

 

Préformationisme:

Aux 17e et 18e siècles, la théorie en vogue pour expliquer le développement embryonnaire était celle du préformationisme. Selon cette théorie, l'animal qui se développe a toujours été présent dans l'oeuf, mais si petit et transparent qu'invisible. Lorsque commence son développement, l'animal miniature ne fait que croître, ses tissus devenant plus denses, donc visibles.

Quand l'existence des spermatozoïdes (animalcules) dans le sémen fut découverte (1678) et leur participation à la fécondation fut soupçonnée, il fallut expliquer l'importance relative de l'oeuf et du spermatozoïde. Les préformationistes se divisèrent en deux écoles. Selon les ovistes, l'embryon était préformé dans l'oeuf, le spermatozoïde étant superflu: un parasite du sperme. Les animalculistes soutinrent que l'embryon était préformé dans le spermatozoïde, l'oeuf ne servant qu'à le nourrir. Un vif débat eut lieu, soldé par une "victoire" des ovistes, lors de la découverte de la parthénogenèse chez les insectes aphidés par Bonnet en 1745.

Bien que très longtemps populaire, la théorie de la préformation avait ses détracteurs. Elle n'expliquait pas les variations, les monstruosités, qu'un noir croisé avec un blanc donne un rejeton de couleur intermédiaire. Elle supposait l'emboîtement d'embryons (poupées russes).

 

Epigenèse:

La théorie de l'épigenèse fut proposée en 1759 par Caspar Friedrich Wolff. En observant les premiers stades du développement du poulet il dit ne pas retrouver certaines parties de l'animal, par exemple le bec, les pattes, comme il s'y attendrait d'un animal préformé. Toutefois, il nota que l'oeuf n'est pas dépourvu de structures visibles, il est d'apparence granulaire. Par la suite, ces granules s'organisent en couches, maintenant appelées feuillets germinaux ou fondamentaux, qui à la suite d'épaississements de certaines parties, d'amincissement d'autres parties, de repliements, etc., se transforment en embryon.

L'embryon n'était donc pas préformé dans l'oeuf. L'oeuf contient le matériel de fabrication, matériel qui ne représente pas plus l'embryon que des briques ne représentent la maison qu'elles servent à édifier. Mais dans le cas du développement de l'embryon, comme dans celui de la construction d'une maison, un architecte doit intervenir pour diriger l'opération. L'architecte du développement embryonnaire est une force vitale. Elle agit sur le développement embryonnaire comme la gravité ou le magnétisme agissent sur les objets. Les théories du préformationisme et de l'épigenèse furent en quelque sorte réconciliées par Immanuel Kant (1724-1804) et Johann Frederich Blumenbach (1752-1840); ils stipulèrent que la force vitale est une propriété de l'organisme même, est transmissible par les cellules germinales et dirige le développement embryonnaire qui, lui, est épigénétique.

En 1883 August Weismann proposa une théorie qui tentait d'intégrer diverses notions biologiques qui faisaient surface à l'époque: hérédité, ontogenèse, regénération, reproduction sexuée, évolution par sélection naturelle. Sa théorie du germe-plasme offrait un modèle mécanique de la différenciation cellulaire. Le spermatozoïde et l'oeuf contribuent un nombre égal de chromosomes au zygote et les chromosomes portent les potentiels transmis; ils sont la base de la continuité entre les générations. Toutefois, tous les "déterminants" d'un chromosome donné ne sont pas distribués dans toutes les cellules de l'embryon, expliquant la spécialisation des cellules sur des lignées différentes. Seuls les noyaux des cellules germinales reçoivent tous les déterminants.

- Embryologie expérimentale: développement mosaïque versus régulateur

Il devint de plus en plus clair que des observations seules ne suffisaient à expliquer l'embryogenèse. Les premières manipulations expérimentales en embryologie furent celles de Wilhelm Roux (1850-1924). En 1888, Roux brûla un des blastomères de grenouille au stade 2 cellules. Le blastomère restant se développa en ce qui semblait être un demi-embryon. Roux conclut au préformationisme et à la théorie du germe-plasme. Il formula sa pensée en offrant la théorie du développement en mosaïque. Roux fut le premier à utiliser l'embryologie expérimentale pour essayer d'expliquer le développement ontogénique et les forces qui le gouvernent.

En 1891 Hans Driesch répéta l'expérience de Roux mais en dissociant deux blastomères d'oursin, plutôt que de grenouille, et par séparation mécanique, plutôt que thermique. Chacun des blastomères isolés se développa en larve complète, bien que petite, contredisant la théorie du développement en mosaïque et supportant l'épigenèse. Driesch proposa la théorie du développement régulateur, car il constatait que chaque blastomère d'oursin pouvait réguler son développement. La potentialité d'un blastomère isolé, les types de cellules auxquels il peut donner naissance, surpasse sa destinée, les types de cellules auxquels il donne naissance au cours du développement normal. En 1894 Driesch suggéra l'existence d'interactions nucléoplasmiques. La destinée d'un noyau dépend du cytoplasme dans lequel il se trouve. Il invoqua l'existence d'une force vitale qui gouverne le développement et alors le vitalisme prit vraiment de l'essor.

En 1928-35 Sven Hörstadius étudia expérimentalement les potentialités et les gradients de l'ovocyte. En séparant méridionalement l'embryon d'oursin de stade 8 cellules, donc en passant par l'axe animal-végétatif, chaque demi-embryon de 4 cellules se développe en une larve complète. En séparant l'embryon de 8 cellules équatorialement, aucune des deux moitiés ne se développe normalement. La moitié (4 cellules) animale devient une sphère ectodermique ciliée, dite à qualité animale, et la moitié végétative devient un genre de tube digestif agrandi, dit à qualité végétative.

En coupant l'oeuf d'oursin non fertilisé méridionalement et en fertilisant une moitié, un embryon normal se développe. En coupant l'oeuf équatorialement, la moitié fertilisée se développe en "embryon" à qualité animale ou végétative, selon la moitié, tels que décrits ci-haut.

Ainsi, même chez l'oursin il existe un certain degré de développement mosaïque, du moins selon l'axe animal-végétatif.

En dissociant les blastomères d'embryons de 32 ou 64 cellules et en les recombinant de différentes façons, Hörstadius parvint aux observations suivantes: des blastomères an seuls donnent un embryon "animalisé", des blastomères vég seuls donnent un embryon "végétalisé", des blastomères an + vég-1 donnent un embryon moins animalisé: avec moins de cils et un peu de tube digestif, des blastomères an + vég-2 donnent un pluteus normal, des blastomères an + micromères donnent un petit pluteus.

Il existe donc des gradients d'animalisation et de végétalisation le long de l'axe A-V. Le pouvoir d'animalisation va en décroissant du pôle animal au pôle végétatif (an-1 > an-2 > vég-1 > vég-2 > micromères). Inversement, le pouvoir de végétalisation va en décroissant du pôle végétatif au pôle animal (an-1 < an-2 < vég-1 < vég-2 < micromères). Le taux relatif des deux gradients est important pour le développement normal.

En résumé, Hörstadius offrit un modèle de développement régulateur basé sur la concentration relative de gradients dans l'ovocyte. La potentialité surpasse la destinée. Au cours du temps les potentialités deviennent réduites.

Chez le xénope, l'on sait que des classes d'ARNm se retrouvent préférentiellement dans l'un ou l'autre pôle de l'oeuf. L'une de ces classes d'ARNm, appelée Vg1, se retrouve initialement dans tout le cytoplasme de l'ovocyte mais, au cours de l'ovogenèse, devient localisée au pôle végétatif, ceci avant même que ne se manifeste toute polarité A-V de l'oeuf. L'ARNm Vg1 code un facteur de croissance peptidique. Les techniques de biologie moléculaire modernes dévoilent un nombre de plus en plus grand de molécules qui durant l'ovogenèse se localisent préférentiellement dans des régions cytoplasmiques de l'oeuf.

- Détermination progressive

L'étape la plus marquante dans l'histoire de l'embryologie fut celle franchie par Hans Spemann, grâce à sa découverte de la détermination progressive des cellules embryonnaires, pour laquelle il s'est mérité le prix Nobel de physiologie et médecine en 1935.

En séparant l'oeuf fécondé de salamandre méridionalement, soit selon l'axe de segmentation normal, deux larves identiques se développent. En séparant le zygote équatorialement, une moitié se développe en une larve normale et l'autre donne une masse de

cellules endodermiques. La moitié du zygote qui donne lieu à un développement normal est celle contenant le croissant gris, i.e., le site de la future lèvre dorsale du blastopore, qui initie la gastrulation. L'autre moitié s'avère incapable de gastruler.

La LDB est la seule région de la blastula à se différencier d'elle-même, sans recours à d'autres régions embryonnaires. Elle initie la gastrulation et l'embryogenèse dans les tissus environnants. Si la LDB est transplantée dans une région quelconque d'une autre blastula, deux gastrulations sont induites et deux larves siamoises sont créées. Autrement dit, deux plans corporels sont établis en parallèle. La LDB, ou le noeud primitif (de Hensen) chez les amniotes, est l'organisateur primaire, dont l'expression est peut-être véhiculée par le peptide activine. Récemment, l'importance de l'activine dans l'établissement primaire du plan d'organisation a été mise en doute à cause de son action plus tardive. De plus récents candidats au rôle d'organisateur primaire: une protéine codée par une famille de gènes appelée Wnt et le bFGF (basic fibroblast growth factor).

- Induction

Dans une autre série d'expériences, Spemann transplanta une région de l'ectoderme général de gastrula à la place du neurectoderme: cette région a neurulé quand même. Si le neurectoderme est transplanté à la place de l'ectoderme général: le greffon ne neurule pas mais se différencie en épiderme. Spemann conclut que les cellules de la jeune gastrula ne sont pas encore engagées définitivement sur une voie de différenciation; cette dernière dépend de l'environnement dans lequel elles se trouvent. Il y a donc induction de la différenciation.

L'induction embryonnaire primaire est celle où la notochorde induit la différenciation de l'ectoderme sus-jacent en neurectoderme, induction qui se poursuit par la neurulation (Spemann et Mangold, 1924). Si l'on enlève la notochorde, le tube neural ne se forme pas. L'induction embryonnaire primaire ne suffit toutefois pas à organiser tout le développement embryonnaire; elle n'est que la première d'une cascade d'inductions, appelées inductions secondaires.

Si les mêmes transplantations d'ectoderme général et de neurectoderme sont effectuées chez des embryons plus âgés, les greffons ne peuvent plus être induits. C'est qu'ils sont maintenant déterminés; ils suivent le cours de leur développement normal respectif. Ils ne sont plus compétents à répondre à l'induction. D'où les notions de détermination et de compétence.

Définitions:

Induction: action d'une région de l'embryon qui amène le développement d'une autre région.

Inducteur: source de l'induction.

Compétence: capacité d'une région de répondre de façon spécifique à un inducteur; elle est limitée dans le temps et l'espace, semble indépendante d'interactions avec d'autres tissus et dépendrait de l'apparition transitoire de récepteurs membranaires sur les cellules induites.

Détermination: fixation de la destinée d'une cellule ou d'une structure; la détermination est définie par des critères strictement opérationnels, non par des critères morphologiques. La voie développementale a été "choisie" parmi d'autres possibilités pour lesquelles le système est compétent. Au début du développement, la détermination n'est pas encore définitive et peut être modifiée par des interactions inductives; elle devient de plus en plus irréversible.

La molécule inductrice peut agir par diffusion car on sait que le contact entre inducteur et tissu induit n'est pas toujours requis. Expérimentalement, une induction peut être produite par un inducteur provenant d'une espèce différente. L'induction est donc spécifique à un tissu mais non à une espèce.

- Interactions nucléoplasmiques: morphogènes

En plus de la détermination par induction, un autre type de détermination peut être défini, la détermination par spécification cytoplasmique. Contrairement à l'oursin ou à la grenouille, il y a des animaux chez qui la localisation cytoplasmique de matériel déterminant est telle que les quelques premiers blastomères diffèrent qualitativement. Chaque blastomère isolé ne se développera qu'en portion d'embryon; il ne peut réguler pour les parties manquantes. Ces espèces, par exemple les mollusques bivalves et les annelidés, de segmentation holoblastique spiralée, subissent un développement en mosaïque.

En réalité développement mosaïque et développement régulateur n'appartiennent pas à des catégories différentes; ils constituent les deux pôles d'un même continuum.

En 1905 E.G. Conklin constata que même chez un embryon aussi déterminé que le ver il se produit des interactions inductives entre les blastomères. En transplantant le noyau d'une cellule de larve dans un oeuf énucléé, la cellule nouvellement formée se comporte comme un oeuf, non comme une cellule de larve; la nouvelle cellule se développe donc tel que dicté par le cytoplasme, non par le noyau. Ainsi, il existe dans le cytoplasme des déterminants morphogéniques qui semblent activer sélectivement certains gènes. Ces déterminants ont été appelés morphogènes.

L'activation de certains gènes et la détermination des blastomères sont contrôlées par la localisation spatiale des morphogènes dans le cytoplsame de l'oeuf. Puisqu'ils ne sont pas affectés par la centrifugation de l'oeuf, les morphogènes sont probablement liés à du matériel insoluble dans le cytoplasme, tel le cytosquelette, particulièrement abondant dans le cortex de l'oeuf. Nous avons plus tôt mentionné le rôle postulé de la vimentine dans la segmentation. Le cytosquelette constitue donc un moyen d'assigner une localisation spécifique aux déterminants cytoplasmiques.

Les morphogènes dont les actions sont les plus connus sont ceux qui déterminent les précurseurs des cellules germinales, même chez les embryons à développement hautement régulé. La détermination des polarités: axe dorso-ventral et axe antéro-postérieur, s'établit par morphogènes. Une classe de composés chimiques, les rétinoïdes et particulièrement l'acide rétinoïque (vitamine A), jouerait un rôle morphogénique dans une pléthore de structures embryonnaires. Des facteurs de croissance pourraient agir comme morphogènes. Les séquences nucléotidiques des gènes codant pour les facteurs de croissance et leurs récepteurs montrent une certaine homologie aux séquences codant pour les oncogènes.

 

ARNm en tant que morphogènes:

Comment l'information génétique est-elle contrôlée pour que des cellules deviennent différentes d'autres cellules? Les techniques modernes d'hybridation d'ADN ont montré que les séquences génétiques sont les mêmes dans le zygote et les cellules somatiques mûres différenciées (contredisant Weismann); la différenciation cellulaire se produit donc sans altération génétique. Elle consiste à utiliser sélectivement certains gènes et à en réprimer d'autres, du moins à des endroits spécifiques et à des temps spécifiques.

Si le noyau d'une cellule germinale est transplanté dans un oeuf énucléé, un embryon normal se développe dans 40% des cas. Si le noyau d'une cellule somatique (différenciée) est transplanté dans un oeuf énucléé, il ne s'ensuit pas de développement. Le noyau a été déterminé, mais a-t-il été modifié? L'on sait maintenant qu'il est possible de rendre totipotent un noyau de cellule somatique différenciée en le transplantant dans le cytoplasme de cellules (énucléées) progressivement moins différenciées. L'on soupçonne qu'une situation similaire se produit dans le cas des cellules cancéreuses.

Comment réguler l'expression des gènes? La régulation peut s'opérer à plusieurs niveaux, dont

- au niveau de la transcription ADN-ARNm

. par inactivation de grosses portions du génome (inactivation par méthylation)

. par amplification des gènes spécifiques pour la fonction particulière du type cellulaire

. par transcription sélective des seuls gènes spécifiques à cette fonction

- au niveau de la traduction ARN-protéines

Les ARNm cytoplasmiques ne seraient traduits en protéines qu'en certaines conditions cellulaires. C'est le cas de la synthèse d'hémoglobine. Les ARNm non traduits seraient masqués par des protéines ou séquestrés dans le noyau, ou bien, si traduits, l'efficacité de leur traduction serait modifiée.

- par modification des protéines (niveau post-traduction)

. les protéines seraient non fonctionnelles si elles ne subissent pas de modification additionnelle

. les protéines seraient sélectivement inactivées, par phosphorilation réversible

. les protéines ne seraient actives qu'en certains sites (certaines cellules, certains organes)

. les protéines doivent être assemblées pour être fonctionnelles (ex. hémoglobine)

Un avenir important de la biologie du développement réside dans l'identification des gènes régulateurs agissant de manières cis et trans, de leurs produits et des mécanismes par lesquels ils affectent les gènes structuraux des différents types cellulaires.

Chez les mammifères, il existe un type cellulaire qui possède un génome modifié suite à la différenciation embryonnaire, le lymphocyte B, qui produit des anticorps à sa surface membranaire en réponse à une stimulation antigénique. Dans ce cas, deux fragments de gènes fusionnent pour former un nouveau gène. Un lymphocyte B donné ne produit un anticorps que contre un seul antigène. La transformation génétique pourrait expliquer une telle spécificité fonctionnelle, irréversible et permanente.

- Interactions intercellulaires

Toutes les modifications du développement embryonnaire ne relèvent pas seulement d'interactions nucléo-plasmiques. Il faut tenir compte de l'importance de la surface cellulaire dans les interactions intercellulaires, dont dépend d'ailleurs le phénomène d'induction.

Les cellules doivent recevoir de l'information positionnelle pour que le développement se produise au bon endroit et au bon moment. Elles reçoivent cette information de deux façons:

- par la création de gradients selon lesquels chaque cellule est informée de sa position relative à la source de la substance diffusible. Les cellules utilisent cette information comme indice qu'il faut se différencier de façon appropriée compte tenu de sa position. Il s'agit donc d'une action à distance émetteur-cible.

- des cellules adjacentes agissent les unes sur les autres par voie de nexus (gap junctions), chacune donnant une information positionnelle à l'autre; ce type de communication se retrouve entre autre dans la morula de mammifère.

L'information positionnelle est donnée par étape. Par exemple, la spécification de l'axe du corps précède la spécification des segments et des compartiments qui elle-même précède la spécification des destinées des cellules individuelles.

L'interaction sélective entre les cellules implique également la reconnaissance sélective. Dans certains cas, l'adhérence sélective de cellules explique la formation de tissus ou d'organes. Les interactions intercellulaires peuvent être du type antigène-anticorps. Elle peuvent s'effectuer par couplage cellulaire: jonctions d'occlusion, d'adhésion, gap. La membrane cellulaire devient donc modifiée en cours de développement.

Les communications et couplages cellulaires ne suffisent à expliquer les migrations et les mouvements morphogéniques. Pour être efficaces, ceux-ci doivent avoir une directionalité. La directionalité peut être assurée par l'inhibition de contact, le guidage de contact (contact guidance) le long de gradients, la chimiotaxie.

Les cellules ne communiquent pas qu'entre elles; leur surface est également le site de contact avec les substrats extracellulaires, la matrice extracellulaire renfermant nombre de substances pouvant lier les molécules de surface membranaire et diriger les mouvements cellulaires et tissulaires. La matrice extracellulaire est même invoquée comme procurant de l'information chimique servant à établir la latéralisation (gauche-droite) des organes.

 

Formation des patrons (pattern formation):

Comment des cellules différenciées forment-elles, ensemble, un organe fonctionnel? un segment? un membre? L'on observe qu'une cellule qui commence tôt, au cours du développement embryonnaire, les processus de transcription ADN-ARNm et de traduction ARN-protéines donne naissance à plusieurs parties d'organes. Une cellule qui commence ces processus plus tard donne un nombre moindre de structures. Le "patterning" est transmissible génétiquement, notamment par l'action des homéogènes (homeobox genes).

 

Interaction cellulaire à distance:

Le développement n'est pas contrôlé que par des communications entre cellules plus ou moins voisines, mais aussi par des molécules diffusibles qui voyagent sur de longues distances, via la circulation sanguine ou le fluide intercellulaire. Comme la plupart des substances impliquées dans la communication intercellulaire, ces molécules agissent sur des récepteurs membranaires des cellules cibles. Elles appartiennent à deux groupes:

- hormones: sécrétées par un type cellulaire et affectant la différenciation d'un autre type cellulaire

- chalones: sécrétées par certaines cellules d'un organe et affectant la croissance du même organe (par exemple l'organe contralatéral)

 

Récepteurs membranaires:

L'association d'une molécule quelconque à des récepteurs membranaires peut apporter des changements dans la cellule cible de deux façons:

- par activation d'enzymes à la surface cellulaire qui affectent la biochimie interne de la cellule

- par restructuration du cytosquelette qui résulte en la fixation de protéines de surface selon une certaine configuration.

 

Action hormonale: métamorphose:

La métamorphose se définit comme la transformation de la larve en forme adulte et consiste en une réactivation hormonale du développement. Des changements, tant morphologiques que biochimiques, se produisent. La métamorphose amphibienne, par exemple, implique le passage du milieu aquatique au milieu terrestre. Souvent, les larves diffèrent de façon marquée des individus adultes. Par exemple, la larve peut être spécialisée pour une fonction, comme la croissance ou la dispersion, et l'adulte être sédentaire et spécialisé pour la reproduction. La sélection naturelle agit différemment sur la larve et l'adulte.

La métamorphose amphibienne est déclenchée par les hormones thyroïdiennes (surtout T3). Chez la larve, la thyroïde, faiblement développée, produit peu d'hormones et leur action est contrebalancée par une hormone hypophysaire, la prolactine. La prolactine agit comme hormone de croissance et inhibe la métamorphose. L'hypothalamus est peu développé chez la larve; il croît lentement et tardivement. Une fois développé, il sécrète la TSH-RH (thyroid stimulating hormone - releasing hormone) qui active la sécrétion de TSH par l'hypophyse. La THS active la sécrétion d'hormones thyroïdiennes et, donc, la métamorphose. La métamorphose entraîne la dégénérescence partielle de la thyroïde, rétablissant l'équilibre hormonal.

Différents organes répondent différemment à la stimulation hormonale. Certains dégénèrent (par exemple, la queue chez les anoures), d'autres apparaissent ou se différencient (les pattes chez les amphibiens). Chez l'humain, bien qu'il ne se produise pas de métamorphose, c'est une stimulation hormonale qui induit la dégénérescence des tissus entre les doigts ou les orteils (palmes), et ceux de la queue. Il est important que les événements de la métamorphose soient coordonnés. La coordination est en partie assurée par les concentrations relatives d'hormones. L'augmentation graduelle d'hormones thyroïdiennes favorise la différenciation de structures et la régression d'autres. Une trop forte concentration de ces hormones entraîne la régression prématurée de structures, comme la queue des anoures, avant que ne se soient formées d'autres structures, comme les membres. Dans ce cas-ci l'animal ne peut bouger. Les aspects temporels ("timing") de la métamorphose sont également contrôlés par la compétence des différents tissus à répondre aux hormones.

Chez les mammifères, une situation équivalente à la métamorphose se rencontre dans le développement des caractères sexuels secondaires chez l'embryon et à la puberté.

Voir schéma sur les 3 stades développementaux des divers embryons

 

Chalones:

Les chalones permettent la croissance d'un organe jusqu'à ce que le nombre critique de cellules soit atteint, après quoi un effet inhibiteur se manifeste. Elles permettent également la croissance compensatoire. Par exemple après excision d'une portion d'organe, des cellules se multiplient jusqu'à ce que le nombre de cellules normal ait été atteint, restituant la taille normale de l'organe. Ou encore, après ablation d'un organe pair il se produit une croissance compensatoire de l'autre (ex. rein).

 

Comme tout étudiant de la biologie animale sait, l'ontogenèse a grandement contribué à établir les échelles phylogénétiques. Pour terminer ce chapitre, quelques considérations sur les relations entre l'ontogenèse et la phylogenèse.

Loi de Karl Ernst von Baer (1828):

Les traits les plus généraux, communs à tous les membres d'un groupe animal, se développent plus tôt chez l'embryon que les traits particuliers, plus spécialisés, qui distinguent les membres du groupe. Ainsi, les traits qui caractérisent tous les Vertébrés: notochorde, tube neural, musculature segmentée, arcs aortiques, etc., se développent avant les traits caractéristiques des classes de Vertébrés: membres chez les quadrupèdes, plumes chez les oiseaux, poils chez les mammifères. Les traits qui caractérisent les familles, les genres et les espèces apparaissent progressivement plus tard. Donc, le jeune embryon possède des structures communes à tous les membres d'un grand groupe animal et représente le plan d'organisation de base de ce groupe.

Cette loi de von Baer fut formulée avant l'acceptation de la théorie de l'évolution. Quand cette dernière devint populaire, la loi de von Baer fut réinterprétée pour devenir la loi biogénétique de Müller-Haeckel: "L'ontogenèse récapitule la phylogenèse". Toutefois, le développement ontogénique ne récapitule pas strictement la phylogenèse; seulement certains stades sont récapitulés. De plus, on sait que certaines structures évolutivement récentes apparaissent tôt. C'est le cas du placenta des mammifères, sans lequel le développement embryonnaire ne pourrait avoir lieu. L'embryon doit se développer en harmonie avec son environnement; l'embryon doit être adaptatif.