« Binarité et complémentarité en Géorgie du nord-est. |
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0. INTRODUCTION
0. INTRODUCTION. La religion traditionnelle des montagnards géorgiens des provinces de Pshavi et de Xevsureti, (situées approx. 70-100 km au nord de la capitale Tbilissi) a été étudiée par des folkloristes, historiens et ethnographes depuis plus qu’un siècle. C’est grâce à leurs efforts qu’aujourd’hui nous disposons d’une petite bibliothèque de textes en dialecte originale, des témoignages de montagnards recrutés par l’Académie des sciences géorgienne, des descriptions détaillées des sanctuaires et des sites sacrés, et des dizaines d’articles et de monographies. Quelques tentatives ont été faites de synthétiser ces matières ethnographiques, notamment par Véra Bardavelidze (1957), Georges Charachidzé (1968) et Zurab K’ik’nadze (1996) (résumé par Tuite 1997). C’est à Charachidzé en particulier que nous devons l’analyse binariste de la cosmologie pshav-xevsur ci-dessous (Tab. 1), avec quelques modifications et additions apportées par nous:
Tableau 1. Associations symboliques des deux sexes (système religieux pshav-xevsur)
1. LA PRÉSENTATION DES NOUVEAUX MEMBRES DU CLAN AU SANCTUAIRE. La vie religieuse des Pshaves et les Xevsurs est centrée sur les sanctuaires (xat’i, djvari) des clans (gvari), des villages, et d’autres unités territoriales ou généalogiques (Bardavelidze 1974, 1982). Chaque nouveau membre de la communauté — enfant nouveau-né ou femme se mariant avec un homme du village — est présenté à l’un des sanctuaires locaux (Bardavelidze 1974: 118; Ochiauri 1991: 147-148, 247-249). Le rite de présentation du garçon est nommé vazhis (ts’ulis) gaq’vana (lit. “la sortie du garçon, ou de l’enfant”). Voici un extrait du texte prononcé par le prêtre Simon Shushanashvili du clan Kist’aurta (Pshavi), enregistré par nous lors de la fête estivale d’Atengenoba en 1997. Après avoir prononcé ce texte, le prêtre a tracé le signe de la croix sur le front du garçon avec le sang d’un agneau offert par son père. vazhis gaq’vana — présentation d’un garçon à la divinité clanique Iaqsar dideba sheni ghmerto maghalo kveq’nierebis tsata da qmeletis damaarsebelo, kveq’ana da mze-mtvaris momshenebelo, dedamits’is damaarsebelo, dedamits’aze qorcielta […]blo. tkven sasaqseneblad, tkven sasaxelad tkvenis madlisa da saxelis ch’irime! ushvelo, umeshveliet sak’lavis momq’vansa, bavshvisa gamq’vanioda, dalotsvilo lagho iaqsaro, qeli moumarte, sak’lavis momq’vansa. gverdze shamaaqdine shen gverdze mshvidoba, sixarulita da k’etilis gulit, k’etilis muxlit, dalotsvilo, maumarte qeli. saxlshiatsa, gzashiatsa, sasts’avlebelsa da samsaxurshiatsa sadatsa dagq’avdes, tkven moumartet [……] rogorts tkvengan dats’ebuli q’opila, vazhishvilis xat’shi gaq’vana, mouq’vania sak’lavi, bavshvis gamq’vaniod, maumarte qeli, dalotsvilo. aktsie krist’ianad, imsaxure. [……] adiane, adzmiane, qeli moumarte, shenis madlisa da saxelis ch’irime! qortsielni vart, chven […]ovni vart, tu rame kebasa da didebas gak’lebdit tkven, tu ver viktseodet rogorts ghirsni iq’vnet, gvap’at’iodit, dalotsvilo. da sak’lavis momq’vansa qeli moumartodit. La présentation d’une fille, par contre, est accompagnée uniquement des offrandes non sanglantes (des cierges et des galettes cérémoniales qui s’appèlent kada-p’uri). Le texte suivant a été enregistré près d’une petite tour en pierre dédiée à la “Mère de Dieu” (Deda Ghvtismshobeli), à peu près 200 m du sanctuaire clanique d’Iaqsar, à l’occasion de la présentation de la petite-fille du prêtre Simon Shushanashvili :
Présentation d’une fille au sanctuaire de la Mère de Dieu dideba sheni ghmerto maghalo, shenis madlisa da saxelis ch’irime, shengan ari gachenili ghvtishvilnits, kveq’nierebats, dalotsvilo! krist’eo da ghmerto, tkvenamts ididebit da idzlierebit, tkvenis madlisa da saxelis ch’irime! lagho iaqsaro, dedao ghvtismshobelo, shenis madlisa da saxelis ch’irime rogor dadgenili q’opila tkvengan, ghvtisgan, gogoebis tkventan moq’vana da gaq’vana, dalotsvilo, maumarte qeli lilesa. adzmianet, dalotsvilno ghvtishvilno, adianet. gaamravlet, dalotsvilno, qeli maumartet, tkvenis madlisa da saxelis ch’irime! ushvelet, umeshveliet, gaadjanmrtelet, djanmrteli kali gazardet. qeli maumartet, tkvenis madlisa da saxelis ch’irime, dalotsvilo! lagho iaqsaro, gmiro k’op’alao, tamar mepeo, lasharis jvaro, k’arat’is ts’veris angelozo, k’virao p’at’iosano, nino k’ar-darbazian angelozo, mogvimartet qeli, chem shvils, sabolood, dedao ghvtismshobelo, tkvenis madlisa da saxelis ch’irime! La présentation du garçon est accompagnée d’un sacrifice sanglant, qui sert à fournir du sang pour la mise d’une marque d’appartenance à la communauté des croyants (une croix) sur le front de l’enfant. Mais l’utilisation du sang dans le rite du vazhis gaq’vana, et son absence dans le cas d’une fille, ne s’explique que par une examination plus approfondie de la culture pshav-xevsur. La juxtaposition des descriptions des deux rites fait ressortir deux différences significatives: i. Le rôle du sang. Ici, comme dans le contexte de plusieurs rites pshav-xevsur, le sang des taureaux, des béliers (parfois celui des femelles de ces espèces) sert à neutraliser l’effet “polluant” du sang des femmes — la présentation du garçon marquant, en effet, son transfert du cercle de sa mère à celui du patrilignage — ou celui d’autres sources de la pollution (p. ex. la purification de la maison du défunt, dont nous ferons mention plus bas). ii. Le site de la présentation. Chez les Pshavs, les garçons sont présentés par leurs pères au sanctuaire principal du clan (dont l’enfant portera le nom, djvaris saxeli, Bardavelidze 1949), tandis que la présentation des filles et des brus a lieu à un sanctuaire local, dédié à une déesse ou dobili du dieu clanique (Ghvtismshobeli “La mère de Dieu”, Adgilis-deda “La patronne du lieu”, Samdzimari “La dame au collier”, etc.). D’un côté, le système symbolique met en contraste — le type de contraste qui fait le bonheur des structuralistes, on dirait — le sang purifiant d’une bête sacrifiée et celui considéré polluant de la menstruation, de l’accouchement, et du cadavre. Cela rappellera, au moins à première vue, les schémas de termes contrastifs présentés dans quelques descriptions structurales des systèmes idéologiques des peuples mélanésiens, comme le suivant, de Maranda et Maranda 1970 (sur les Laus):
Tableau 2. Analyse binaire de la religion des Laus (Îles Salomons)
Les ressemblances sont frappantes, et chaque fois que nous faisons la connaissance d’un océaniste, nous en trouvons davantage. Mais il faut toutefois résister à la tentation d’analyser le système religieux pshav-xevsur trop «à la mélanésienne». Le fait que les deux séries de termes (du Tableau 1) sont conçues comme complémentaires plutôt qu’opposées est un trait central de la pensée religieuse des montagnards géorgiens. Parmi les croyances et pratiques reflétant cette complémentarité se rangent les rites d’adhésion des enfants des deux sexes, qui ont lieu à des sanctuaires consacrés à des divinités des deux sexes, reliées par un rapport de parenté artificielle (la déesse étant la dobili “soeur par serment” du dieu clanique). Chaque dieu clanique (mâle) est accompagné par, ou — dans le cas de certains sanctuaires — forme un couple avec, une ou plusieurs dobilni (“soeurs-épouses” [Charachidzé] = déesses ou anges, parfois d’origine souterraine ou “démoniaque”, potentiellement dangereuses, dont la plus célèbre est Samdzimari, la dobili de St. Giorgi à Qaqmat’i). Près de chaque sanctuaire d’un dieu clanique se trouve au moins un lieu saint où on présente des offrandes aux dobilni. Fondamentalement relié à ce principe de la conjonction des dieux et des déesses est la conception du “mal” ou du “démoniaque” du système religieux des montagnards géorgiens. En effet, une bonne partie de la pratique religieuse a comme objectif la conciliation, l’apaisement et l’intégration (ou le bon «positionnement») des déesses, des “démons”, des âmes des défunts, et quelques autres classes d’êtres invisibles. Toutes ces entités sont potentiellement maléfiques, mais aussi capables d’apporter la fertilité, la prospérité et la bonne fortune. En un certain sens, le même principe s’applique à tout membre des sociétés visible et invisible, où chacun a sa place appropriée. 2. LA RACINE GÉORGIENNE -REV- “MÊLER” ET LE CONCEPTE DE L’IMPURETÉ. La signification principale de la racine verbal -rev-, attestée dans tous les dialectes contemporains, est “mêler, mélanger, confondre”, p. ex.: a(gh)=rev-a [en.haut=mêler] “confondre, brouiller" she=rev-a [dans=mêler] “mélanger, confondre” guli m-e-rev-a (littéralement, “j’ai le coeur mêlé”) = “j’ai mal au coeur” Mais dans le contexte de la terminologie religieuse des dialectes pshav et xevsur, la racine -rev- a une connotation plus précise: “être en contact avec, ou contaminé par, une source de l’impureté” (v. Tab. 3). Dans une prière en dialecte pshav transcrite par A. Ochiauri, l’expression qelis a=rev-a, mot à mot “mêler la main (avec quelqu’un, quelque chose)”, est utilisée par un “prêtre des céréales” (mep’ure qevisberi) pour désigner la mise en contact de sa main impure avec les grains provenant des champs du sanctuaire. Avant de prononcer la prière, il se purifie les mains et les épaules avec le sang frais d’un sacrifice, enlève son chapeau et ses chaussures, et entre dans le grenier sacré (ts’mida begheli, où lui seul peut aller): nu shamisats’q’indebi qortsielsa shens ts’mida beghelshi shemosvlazeda da shent kor-okrotashi qelis a=rev-a-zeda ‘Ne te fâche pas à cause de l’entrée d’un mortel dans ton grenier sacré, et à cause du “mélange” de sa main sur ton orge doré.’ (Ochiauri 1991: 133) Tableau 3. Termes religieux utilisant la racine -rev-
Les na=rev-i (en dialecte xevsur) ou mi=re-ul-i (en dialecte pshav) sont les croque-morts des communautés géorgiennes du nord-est du pays. “Les narevi sont les jeunes hommes et les hommes encore jeunes du village et du clan du mort. Dès que le défunt est devenu «cadavre» (litt. le “froid”, tsivi), ils s’assemblent chez lui et le veillent. Ils sont chargés “d’en prendre soin” : le laver, l’habiller, le manipuler en général. Ils sont considérés comme impurs, et personne les approche” (Charachidzé 1968: 378). Giorgadze (1987) rajoute que pendant six jours ou plus, les narevi restent chez la famille du mort; avant de renter chez eux, ils se lavent. Pendant la période de service, les narevi n’ont pas le droit de s’approcher du sanctuaire, ni de partager le repas avec d’autres personnes (en général, les autres évitent de toucher les objets manipulés par les croque-morts). Les prêtres et les autres officiants du sanctuaire (xat’is msaxurni) ne fonctionnent jamais comme narevi et en général ils se gardent de tout contact avec l’impureté de la mort. Le prêtre (en dialecte xevsur, djvaris xutsesi) ne préside pas aux rites funéraires, et il ne prend jamais ni de la nourriture ni des boissons servies aux banquets funéraires. À l’occasion de la mort d’un membre de la communauté, le prêtre du sanctuaire clanique est remplacé par un soi-disant sulis xutsesi (“prêtre de l’âme”), qui a spécifiquement la responsabilité de prononcer la prière de commémoration des morts (shandoba), de consacrer le banquet en honneur du défunt, et de pratiquer les sacrifices lors de ces occasions. C’est au sulis xutsesi qu’incombe le rite de la “purification de la maison” (saxlis sanatlavi) : selon un informateur xevsur (cité par Giorgadze 1987), “les anges ne restent plus” dans une maison polluée par une mort récente. Le sulis xutsesi y sacrifie un veau ou un agneau 2-3 jours après l’enterrement, et asperge la maison et ses environs de son sang. Les tabous concernant la pollution cadavérique sont particulièrement stricts pour les officiants du sanctuaire de K’op’ala (clan Udzilaurta, Pshavi). Selon un informateur: “K’op’ala déteste une personne qui était en contact avec un cadavre (tsivtan namq’opi) … Il n’y a rien qui “mêle” [= polluer] notre sanctuaire plus qu’un cadavre (chvens salotsavs q’velaze met’ad tsivi revs), et il se fâche. … Il faut spécialement éviter un cadavre, parce que l’esprit saint (sults’minda) n’est plus dedans … La personne qui était dans la maison d’un cadavre et le propriétaire de cette maison … devaient sacrifier une bête chacun pour que le sanctuaire ne se fâche pas contre eux.”[1] Le mot narevi avait une deuxième dénotation chez les Xevsurs, qui “l’emploient pour nommer les femmes accouchées et les femmes ‘mensuelles’ (tviuri) … Les Xevsur traduisent narevi par «impur» … La souillure féminine est conçue de façon analogue à la souillure cadavérique ou tout au moins qu’elles sont contenues dans une même catégorie” (Charachidzé 1968: 379). On note que chez les Pshavs et Xevsurs jusqu’à la 2e Guerre mondiale, comme chez plusieurs sociétés de l’Eurasie, de l’Océanie et d’ailleurs, le sang menstruel était considéré comme polluant, ou — plus correctement — comme doué d’une force qui le rendait capable de nuire l’efficacité des hommes dans la performance de certaines fonctions réservées à leur sexe, dont le sacrifice, la chasse, la communication avec les dieux. On note aussi que les montagnards géorgiens, comme d’ailleurs les Kwaios (Keesing 1983) et les Laus (Maranda et Maranda 1970) des Îles Salomons, attribuaient plus de force au sang d’accouchement qu’à celui des règles (Demidov 1933: 45-47); chez les uns comme chez les autres, les cabanes où les femmes donnaient naissance (sachexi ou koxi en géorgien) étaient situées plus loin des villages que les cabanes de menstruation (samrelo).
3. LA CONCEPTION DE LA DIVINITÉ. Pour comprendre la signification attribuée par les montagnards géorgiens à ces termes formés de la racine -rev-, il faut les juxtaposer à la notion de nats’ilianoba “ayant une part/portion [de la divinité], participant”. À la tête du panthéon pshav-xevsur est le dieu suprême, souvent nommé “Créateur” (Dambadebeli) ou “Dieu le directeur” (Morige Ghmerti). Après avoir crée l’univers, avec ses divinités et populations humaines, Dieu se tient en général à l’écart des affaires humaines, dans sa “cour” (ghvtis k’ari) céleste. Il ne se manifeste jamais aux hommes, et aucun sanctuaire terrestre ne lui est consacré. Dieu représente l’essence divine pure, sans mélange avec le charnel et l’impur. Une prière à la louange de la Trinité en géorgien médiéval fait usage de la racine -rev- en soulignant cet aspect de sa nature (cité dans Sardjveladze 1995: 242): samgwamovnebao, ganuq’opelo da she=u-rev-n-el-o ertghmerteebao! [ms. Ier 48 (XI s.)] (trois-corps, indivisible et ‘sans mélange / immaculée’ divinité-unique) Toute autre créature visible ou invisible a une “part” (nats’ili) plus ou moins grande de cette essence divine, mais chez les mortels cette part de la divinité est diluée, “mêlée” (narevi, mireuli) avec l’impureté (ou le corporel, le charnel), dont le sang féminin et le cadavre “sans âme” sont les manifestations les plus concentrées.[2] Entre les dieux et les mortels sont certains héros, prêtres et prophètes (kadagi) demi-légendaires et demi-divinisés, commémorés dans des épopées et des cultes locaux. D’un côté se trouvent les héros “participant” de la divinité (nats’iliani), et ayant reçu une portion spéciale de l’essence divine qui se manifeste par une force et une beauté exceptionnelles, l’invulnérabilité, et une marque sur le corps (typiquement une répresentation du soleil ou de la lune sur les épaules; Bardavelidze 1957: 110; Charachidzé 1968: 322). De l’autre se trouvent, par exemple, les prêtres du passé lointain du sanctuaire d’Iaqsar en Pshavi. Les ruines de leur résidence (sabero) sont aujourd’hui hors limites à tous sauf au prêtre en chef, qui s’y rend une fois par an pour verser le sang d’un sacrifice sur les sept sièges en pierre qui s’y trouvent. Personne ne se souvient plus de leurs noms, mais les gens locaux sont convaincus qu’ils étaient des prêtres particulièrement proches du dieu clanique (xat’tan daaxlovebulebi; Ochiauri 1991: 62). Rangeant les diverses classes des dieux et des êtres humains selon la prédominance relative des principes nats’iliani et de mireuli, on aura une hiérarchie approximativement comme ci-dessous (Tab. 4):
Tableau 4. hiérarchie de nats’ilianoba
Correspondant à cette hiérarchie sont des restrictions, parfois extrêmement rigoureuses, sur le contact ou même la proximité des entités de différents degrés de nats’ilianoba (mireuloba) : (a) Une fois par an à plusieurs sanctuaires claniques de la Pshavi, les fidèles offrent un sacrifice collectif (sasoplo sak’lavi) au dieu-patron local, et le prêtre (tavqevisberi) verse son sang sur le sanctuaire. Mais le k’vrivi à Matura, une petite tour de construction solide, est considéré tellement sacré que même le prêtre n’ose pas traverser le mur qui l’entoure. À l’occasion du sacrifice collectif, le tavqevisberi trempe des boules de neige dans le sang de l’offrande, et, de son côté du mur, les lance au k’vrivi (Ochiauri 1991: 238; K’ik’nadze 1996: 14). (b) Pendant deux-trois mois avant la grande fête estivale, Ioseb K’och’lishvili, le tavqevisberi du clan Udzilaurta (un clan noté pour son conservatisme en ce qui concerne la pureté rituelle), doit éviter tout contact avec les femmes (même sa propre épouse), et avec d’autres sources d’impureté. Même quand il lui faut voyager sur de longues distances, il refuse tout offre de transport en autobus ou en camion, par peur que le véhicule en question ait été utilisé pour transporter des femmes, des poules ou des cochons (notes du terrain, Shuapxo, juillet 1997). (c) Notre collègue xevsur Ivane Ts’ik’lauri nous a raconté l’histoire du dernier oracle du village Blo (Xevsureti), qui s’est suicidé dans les années 1960. Comme c’était le cas avec d’autres oracles xevsurs, il était obsédé par la nécessité de se maintenir dans un état exceptionnel de pureté rituelle : il ne descendait jamais dans le rez-de-chaussée de sa maison (où se retrouvaient les femmes et l’étable des vaches); quand il lui fallait quitter la maison, il sortait directement du deuxième étage par une échelle; les femmes n’avaient pas le droit d’entrer dans sa chambre. Il ne voyageait jamais dans les villages de la plaine, considérés trop proches des diverses sources d’impureté et trop loin de son sanctuaire. Dans les années 50 la presque totalité de la population xevsur a été forcée à s’installer dans la plaine. Finalement l’oracle rendit visite à ses parents à Ts’iteli Ts’q’aro (Kakheti). Quelques jours plus tard, il entra dans un état d’extrême angoisse, annonçant aux siens que “mon ange m’a déjà abandonné, ma vie n’a plus de sens” (chemma angelozma uk’ve damt’ovao, azri aghar akvs chems tsxovrebaso). Il se retira dans sa chambre, et mis fin à ses jours (notes du terrain, Tbilisi, août 1996).
4. LE TRAITEMENT DE L’IMPUR ET DU DANGEREUX. Les religions de l’humanité n’ont pas les mêmes images du “mal”, si sous cette rubrique extrêmement générale on groupe tout ce qu’un système idéologique quelconque évalue négativement, comme méchant, mauvais, dangereux, impur, corrompu (ou corruptible), etc. Les religions n’ont pas non plus les mêmes dispositifs pour le traitement du mal. Certaines cherchent à le vaincre, d’autres à l’éliminer, encore d’autres à l’éloigner. Il nous paraît que la pensée religieuse pshave-xevsur — et peut-être aussi celle de certaines autres cultures traditionnelles du Caucase — représentait la moitié mireuli de son système symbolique comme à la fois dangereuse et essentielle pour la survie de la société humaine. L’attitude complexe (et souvent mal comprise) des montagnards géorgiens à l’égard des étrangers en est une bonne illustration. Les Tchétchènes et Ingouches immédiatement au nord, qui sont nominalement musulmans, ainsi que les Ossètes au ouest et les Géorgiens de la province de Tusheti, étaient les cibles préférées pour des razzias sur leurs troupeaux de moutons et de chevaux, et en revanche les porteurs de maints malheurs chez les communautés pshaves et xevsures. Les poésies épiques de ces régions consistent en large partie de ballades racontant les batailles plus ou moins légendaires de guerriers locaux contre leurs voisins de tous les côtés. Mais ces mêmes Ingouches et “Tatars” (terme générique pour tout musulman) faisaient du commerce régulièrement avec leurs voisins du sud, faisaient de serments de fraternité avec eux, s’installaient parfois en grands nombres dans des vallées géorgiennes (Margoshvili 1985). La sociologue russe N. G. Volkova a qualifié la frontière xevsur-tchétchène-ingouche de “zone de contact” interethnique, caractérisée par un taux de bilinguisme plutôt élevé, surtout chez les Xevsurs (Volkova 1978: 36-50). À quelques endroits en Géorgie, on note l’existence de lieux saints spécifiquement désignés “sanctuaires des croyants et des non croyants” (rdjulian-urdjulo salotsavi), dont les plus célèbres se trouvent à Qaqmat’i et à Anat’ori en Xevsureti, où les Tchétchènes et Ingouches et des représentants d’autres communautés non géorgiennes présentent leurs sacrifices à côté des Géorgiens nominalement chrétiens (Goniashvili 1971). La magnifique cathédrale médiévale d’Alaverdi, dans la plaine de la Géorgie orientale, semble avoir eu une fonction semblable : à l’intérieur du mur entourant l’église, qui délimite l’espace sacré de l’espace profane, se retrouve une mosquée. Somme toute, l’étranger représentait un danger potentiel pour la communauté, mais également une source des biens, des technologies, des services et de l’aide nécessaires pour la survie de la communauté. Cette ambiguïté fondamentale a trouvé son reflet dans le panthéon pshav-xevsur. St. Georges, le dieu guerrier par excellence, marchant à la tête de l’armée géorgienne se rendant au lieu de bataille, est souvent présenté comme d’origine étrangère, soit Tchétchène, soit “Tatar”, etc. (Virsaladze 1958: 309; Bardavelidze 1982: 132). Les ogres, les démons, l’impureté du sang féminin et celle de la mort représentent également des sources de danger, qui menacent la sécurité de la société montagnarde, ou risquent de provoquer la colère des dieux. En ce qui concerne le sang de la menstruation et de l’accouchement, la procédure sanctionnée par l’idéologie pshav-xevsur était la ségrégation spatiale des femmes pendant des périodes d’impureté (dans le samrelo et le sachexi), accompagnée par des pratiques d’évitement et de purification. Voici deux exemples additionnels du traitement des êtres potentiellement dangereux: i. On trouve en Pshavi et surtout en Xevsureti un bon nombre de lieux saints et de sanctuaires qui sont effectivement consacrés à des “ogres” (dev) ou à des “démons”, généralement de genre féminin. Un exemple ce type de sanctuaire est celui de la soi-disant Devt-deda [“Mère des ogres”] près de Roshk’a en Xevsureti. Selon des informateurs locaux, après que le héros déifié K’op’ala ait eu massacré les communautés d’ogres qui harcelaient la population humaine, seules quelques ogresses dont la Mère des ogres restèrent en vie (Bardavelidze 1982: 110-111).[3] Ces ogresses représentent une menace pour les enfant nouveau-nés et pour les femmes, dont les anges-protecteurs sont moins forts que ceux qui veillent sur les hommes. Afin de les apaiser, des offrandes de galettes sucrées (xavits’iani) et occasionnellement des chevreaux sacrifiés sont présentées périodiquement à leurs sanctuaires. Quelques autres sites en Xevsureti, typiquement les ruines d’un sanctuaire abandonné, sont considérés comme les habitations des divinités dites gamits’rivlebuli. Ce terme, inconnu des autres dialectes géorgiens, semble provenir de la racine mits’a “terre”, indiquant peut-être la transformation d’une divinité céleste en esprit souterrain. Un informateur questionné par Ochiauri a offert la définition suivante: “gamits’rivleba signifie qu’une divinité (xat’i) qui jusqu’alors avait la forme d’un ange, devient un démon (eshmak’ad gadaiktseva) quand les gens cessent à prier à lui. Si auparavant il était capable d’aider les gens, maintenant il n’est capable que du mal” (Ochiauri 1988: 194-5). Ces divinités démonisées sont le plus souvent imaginées en forme de femmes, auxquelles sont attribuées certaines maladies infantiles. Pour les apaiser, les femmes allument des cierges devant leurs sanctuaires et leur font des offrandes de biscuits farcis de fromage. ii. L’enterrement des cadavres dans le cimetière clanique assure le passage de l’âme du monde des vivants au monde des âmes (Suleti), et le bon positionnement de l’âme au sein de son andabi (le “clan” des morts qui correspond au clan des vivants). Les cadavres enterrés ne sont plus considérés impurs, ce qui explique aussi la situation du cimetière près du sanctuaire, parfois même à l’intérieur du mur. Par contre, “les âmes qui ne parviennent pas à destination inspirent [de l’] horreur aux montagnards géorgiens. Elles viennent grossir les rangs des démons et des créatures dangereuses qui peuplent les espaces sauvages” (Charachidzé 1968: 264). Les âmes coincées dans un état d’impureté étaient particulièrement redoutées: celles des femmes suicidées dans les cabanes d’isolement, et celles des victimes de la noyade, des avalanches, ou du suicide par pendaison. Les premières, selon les sources citées par Charachidzé, étaient inhumées hors du cimetière clanique, “et leurs âmes vouées à l’état démoniaque” (1968: 265).[4] Les âmes des dernières, emprisonnées sous la surface de l’eau ou de la neige, ou coincée à l’intérieur du cadavre (dans le cas des pendus), devaient être libérées par un rite appelé sulis qsna (“libération de l’âme), effectué par le mk’adre (porte-drapeau du sanctuaire, avec des fonctions semblables à celles du kadag). Les Géorgiens pensaient que les âmes des individus morts sous ces circonstances anormales étaient capturées par des démons; le mk’adre, accompagné par le drapeau du dieu K’op’ala, vainqueur de démons et d’ogres, sacrifiait un chevreau noir en demandant que le démon responsable lâche l’âme, pour qu’elle puisse être ramenée au village.[5] Mais les âmes des morts, une fois installées au bon endroit dans le monde des âmes, continuent à avoir le potentiel d’exercer une influence positive ou négative sur les survivants. Chaque janvier, à l’occasion de la fête de Sultak’repa (“Rassemblement des âmes”), les âmes des ancêtres rendent visite chez leurs familles terrestres, et déterminent leur sort pour l’année à venir. Les vivants leur préparent un accueil somptueux, avec des banquets, des chansons et la récitation des contes de fées, pour s’assurer la bonne volonté des ancêtres. En résumé, les attitudes envers les étrangers, comme les représentations des rapports entre divinités, et les rites de purification et d’adhérence présentés ci-haut, sont consistent avec un principe général de la religion et de la pensée sociale pshav-xevsurs, qui vise l’accommodation et le bon positionnement des forces potentiellement dangereuses, afin de les rendre bénéfique à la communauté.
Remerciements Nous tenons à exprimer toute notre gratitude aux membres de notre équipe, pour tout ce qu’ils ont fait pour réaliser le rêve de K. Tuite de faire un terrain en Pshav-Xevsureti: Romanoz Dolidze, Berucha Nik’olaishvili, Ivane Ts’ik’lauri. Nous remercions également tous les collègues et informateurs/ informatrices en Géorgie, pour la surabondance d’informations qu’ils nous ont fournies en réponse à des questions trop souvent bêtes ou naïves, et en particulier les tavqevisberebi Ioseb K’och’lishvili et Simon Shushanashvili, Mme. Thek’le Bich’uris-asuli Badrishvili, et le Prof. Zurab K’ik’nadze. Un gros merci finalement à la professeure Christine Jourdan pour ses commentaires très utiles. Les recherches de K. Tuite en Géorgie pendant la période 1995-1997 ont été subventionnées par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, et par les Fonds pour la Formation de Chercheurs et l’Aide à la Recherche du Québec, et organisées en collaboration avec l’Institut international de recherche en caucasologie (K’avk’asiologiis saertashoriso sametsniero-k’vleviti sazogadoebrivi inst’it’ut’i).
Bibliographie Adjindjal, I. A. 1969. Iz ètnografii Abxazii. Materialy i issledovanija. Suxumi: Alashara. Akaba, L. X. 1967. O nekotoryx religioznyx perezhitkax u abxazov. Akaba, L. X., et Inal-Ipa, Sh. D., dirs. Sovremennoe abxazskoe selo. Ètnograficheskie ocherki. Tbilisi: Metsniereba, pp 27-51. Bardavelidze, Vera. 1949. Kartveli xalxis religiuri azrovnebis ist’oriidan: mravalsulianobis k’oncepcia. [De l’histoire de la pensée religieuse du peuple géorgien. Le concept d’âmes multiples]. Mimomxilveli I, pp. 123-155 Bardavelidze, Vera. 1957. Drevnejshie religioznye verovanija i obrjadovoe graficheskoe iskusstvo gruzinskix plemen. Tbilisi: Mecniereba. Bardavelidze, Vera. 1974. Aghmosavlet sakartvelos mtianetis t’raditsiuli sazogadoebriv-sak’ult’o dzeglebi, I. Pshavi. [Monuments communaux et cultuels de la montagne de la Géorgie orientale, I. Pshavi]. Tbilisi. Metsniereba. Bardavelidze, Vera. 1982. Aghmosavlet sakartvelos mtianetis t’raditsiuli sazogadoebriv-sak’ult’o dzeglebi, II.1. 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Mtiulet-Gudamaq’ari.] Tbilisi: Metsniereba Volkova, N. G. 1978. Ètnicheskie processy v Gruzinskoj SSR. Ètnicheskie i kul’turo-bytovye processy na Kavkaze (V. K. Gardanov & N. G. Volkova, red.) Moskva, Nauka, 3-61. [1] La religion traditionnelle des Abkhazes, qui partage plusieurs traits avec celle des Pshav-Xevsurs, semblait localiser l’impureté entourant la mort dans des esprits malins plutôt que dans le cadavre lui-même. Selon Adjindjal (1969: 271-272) certains rites effectués directement après la mort avaient comme objectif principal l’expulsion de la maison du défunt les esprits impliqués dans sa mort. [2] Le concept de la divinité segmentable, distribuée en forme de “parts” ou “portions” a reçu une élaboration particulière dans la religion traditionnelle abkhaze. Chaque clan, famille et individu a sa “portion de Dieu” (i-ntswa-xu), une sorte de divinité locale ou ange gardien (Bardavelidze 1957: 106-110; Inal-Ipa 1965: 561-563). Certains dieux abkhazes sont imaginés comme étant de nature multiple, ayant plusieurs “portions”, le plus typiquement, sept, p. ex. le dieu forgeron Shashwy-abzh-nyxa “Shashwy-sept-sanctuaires” et la divinité de la fertilité bzh-Aytar “sept-Aytar”, un conglomérat divin de la “Mère des chèvres”, la “Mère des vaches”, la lune, le soleil, etc. (Inal-Ipa 1965: 520; Adjindjal 1969: 101). Mais il paraît que la pensée religieuse abkhaze concevait la distinction entre divinités (les portions de Dieu) et humains comme claire et étanche; il n’y avait rien dans la religion abkhaze, à notre connaissance, qui correspondait aux mortels demi-divinisés (nats’iliani) de la mythologie pshav-xevsur. [3] Les Yézidis du Proche-Orient sont souvent accusés par leurs voisins chrétiens et musulmans d’être des ‘adorateurs du diable’. L’accusation est effectivement vraie, mais la pratique en question est beaucoup plus répandue dans la région : Les Yézidis considèrent que Dieu n’a pas besoin de leurs prières et de leurs offrandes, parce qu’il est bon par nature, et se tient à l’écart des affaires humaines en tout cas. Le diable, par contre, est capable du mal, mais les êtres humains peuvent le convaincre de les épargner par des actes continuels de propitiation (Cherchi, Platz et Tuite 1995). Même s’ils ne représentent pas — comme chez les Yézidis — le noyau de la pratique religieuse, la même logique est sous-jacente à certaines pratiques des Géorgiens, des Circassiens, des Ossètes et d’autres communautés du Caucase : les rites de propitiation à l’intention des démons, des ogres, des criquets (Charachidzé et Esenç 1991: 38-41), des loups, du génie de la petite vérole (Charachidzé 1987: 48-60; Tuite 1994: 131-132), et des morts. [4] Il apparaît que le suicide de jeunes femmes dans le samrelo n’était pas particulièrement rare (Charachidzé 1968: 102; Tuite 1994: 144). Le choix de se donner la mort dans une condition tellement polluante que son âme ne rejoindra jamais l’andabi clanique semble avoir été le refus le plus dramatiquement imaginable du destin normalement réservé à une montagnarde : le mariage avec un homme choisi par les deux familles (avec ou sans le consentement de la jeune femme), la routine du travail domestique sous l’autorité de la belle-mère, les périls de l’accouchement, etc. [5] Les Géorgiens de l’ouest et les Abkhazes connaissaient des pratiques semblables pour repêcher et ramener l’âme d’une victime de la noyade, ou en général de quelqu’un qui est mort hors de son village; cp. le kunem lit’xe des Svanes (Davitiani et al. 1957: 301), l’apsytgara des Abkhazes (Akaba 1967: 49). |
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