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Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans Travail et santé 18 : 27, 2002 |
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Si vous avez de jeunes enfants, cachez ce mot du rédacteur scientifique, sinon celui-ci recevra des remontrances de leur professeur d'arithmétique. Dans le domaine de la gestion des risques toxicologiques, on demande aux toxicologues d'établir, avec le plus de précision possible, une dose qui soit sûre ou encore, dans le cas des substances cancérogènes, une dose dite "virtuellement sûre". On trouve ainsi des normes, des critères, des valeurs guides concernant la dose maximale à laquelle une population peut être exposée sans effet délétère sur sa santé. Mais comment établit-on ces valeurs limites? Parfois à partir de données obtenues chez l'humain suite à des expositions à des substances toxiques soit dans le milieu de travail ou encore dans un environnement contaminé. Souvent à partir des doses qui n'ont pas entraîné d'effets délétères sur la santé d'animaux de laboratoire qui y ont été exposés dans des conditions rigoureusement contrôlées. Mais dans l'un et l'autre cas, les valeurs ainsi déterminées sont affectées d'incertitude, qui est toutefois moindre lorsque des données validées sont disponibles chez l'humain. Toutefois, dans le cas des doses "virtuellement sûres" établies pour les cancérogènes à partir d'études réalisées chez l'animal, il n'est pas rare que la plage d'incertitude soit de plusieurs ordres de grandeur. Dans ce cas, cela signifie en réalité que les toxicologues ne peuvent dire avec exactitude si la dose "sûre" est de, disons, 1 mg de substance absorbée par kg de poids corporel des individus et par jour ou plutôt de 100 mg par kg par jour. Alors, que peut-on dire de la différence entre 1 et 2 mg dans ce cas? Eh oui! À l'ère du numérique, les systèmes biologiques demeurent encore, dans plusieurs domaines, auréolés de mystères que n'ont encore pu percer les scientifiques. Est-ce à dire que toutes les normes établies pour les substances chimiques sont inutiles? Certes non! Placés devant cette incertitude, les scientifiques et les gestionnaires du risque auront plutôt tendance à aller du côté de la plus grande prudence de sorte qu'on préférera donner une valeur guide de 1 mg par kg par jour même s'il est possible que la dose sûre soit de 100 mg par kg par jour. On préférera "surprotéger" la population que l'inverse. La poursuite d'études scientifiques visera par la suite à réduire la plage d'incertitude qui entoure la valeur précédemment déterminée. Il y a là une leçon d'humilité pour les scientifiques, un effort à faire pour faire comprendre les limites de la science auprès de la population et un formidable incitatif à poursuivre les recherches qui nous permettent de réduire l'incertitude.