Pour qui sont les normes? |
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Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans Travail et santé 19 : S14, 2003 |
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Par rapport à l’exposition aux substances toxiques en milieu de travail, les valeurs limites d’exposition (VLE ) comptent parmi les outils les plus fréquemment utilisés. Quelles en sont les origines et à qui s’appliquent-elles? Disons d’emblée par souci de transparence que l’auteur de ces lignes a récemment été nommé membre candidat du comité des « Biological Exposure Indices » de « l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) ». Les valeurs TLV® de l’ACGIH sont censées protéger « presque tous les travailleurs » des effets délétères potentiels des substances chimiques visées. Dans un article publié il y a deux ans, Jayjock et coll. [1] ont tenté de comprendre la signification de cette expression à partir de considérations statistiques et probabilistes. Prenant notamment en considération divers modèles mathématiques décrivant la relation entre la dose et la réponse biologique, les auteurs montrent que le risque résiduel existant à une VLE donnée peut varier de plusieurs ordres de grandeur selon qu’on regarde la tendance centrale ou les limites de la distribution. Les auteurs invitent l’organisme réputé à prendre en compte ce type de considérations dans l’établissement des valeurs limites qu’il propose. Mais quelle que soit l’approche retenue, il subsistera toujours un certain degré d’incertitude notamment en raison du fait que les valeurs « seuil » qu’on tente d’établir ne représenteront jamais une frontière unique pour tous les travailleurs entre toxicité et non-toxicité. Il faudra toujours composer avec l’inévitable variabilité interindividuelle. L’approche de la protection de « presque tous les travailleurs » s’appliquera donc pour plusieurs années encore en comptant toutefois que le « presque » englobe le plus grand nombre possible. Il convient cependant de tenir compte des susceptibilités particulières lorsqu’elles sont connues ou présumées. À titre d’exemple, dans de nombreux cas la littérature scientifique est muette sur la foetotoxicité et l’embryotoxicité de certaines substances parce qu’on ne dispose pas des données à cet effet. Il faut donc exercer la plus grande prudence quant à l’applicabilité des VLE ou des TLV aux fins de protection de populations potentiellement sensibles. Ces outils devraient donc toujours être utilisés de façon nuancée par des professionnels éclairés.
1. M.A. Jayjock, P.G. Lewis et J.R. Lynch. Quantitative protection offered to workers by ACGIH Threshold Limit Values occupational exposure limits. American Industrial Hygiene Association Journal 62 : 4-11, 2001.