Santé, sécurité et compétence informationnelle en santé |
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Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans Travail et santé 24 (3) : 32, 2008 |
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Depuis le 1er avril 2008, il est interdit d’utiliser un téléphone cellulaire
tenu en main quand on est au volant d’une voiture. Les campagnes d’éducation de
la population à cet égard n’auront pas suffi à lui faire prendre de saines
habitudes, que ce soit parce qu’elles étaient mal conçues ou parce que les gens
sont inconscients des risques qu’ils courent. La compétence informationnelle en
santé, la clé de la prise de décision éclairée en matière de santé, fait
malheureusement défaut chez trop de nos concitoyens. L’État, c’est son rôle,
doit donc intervenir pour tenter de compenser ces lacunes. Qu’on pense seulement
ici à tout le ramdam réglementaire incessant sur le contrôle du tabagisme, ce
tueur en série que trop de personnes continuent de fréquenter volontairement
avec une insouciance ahurissante. Bien qu’elle n’atteigne pas toujours ses
objectifs, l’intervention de l’État est une question de protection de la santé
publique et de gros sous, les coûts des soins de santé ne cessant de grimper et
de menacer les finances publiques.
Revenons au cas des téléphones cellulaires. Les fabricants nous appâteront
sûrement bientôt avec une campagne de marketing sur l’interdiction du téléphone
en main et sur le fait qu’ils possèdent la solution de rechange parfaite : le
système « mains libres ». Oh! Bien sûr, on sait très bien que ce n’est pas le
fait d’avoir l’appareil en main qui est source de distraction et donc un facteur
en cause dans de nombreux accidents de la route (1). En clair, notre risque
d’accident est aussi grand en « mains libres » qu’avec le téléphone à la main.
Cependant, il est impossible de faire appliquer une réglementation qui inclurait
le « mains libres ». Comment un policier pourrait-il en effet savoir si vous
récitez un poème de Nelligan, si vous chantez un tube diffusé à la radio ou si
vous parlez au téléphone? On va donc essayer de nous vendre du risque – tout
aussi important, j’insiste – sous une forme réglementairement acceptable. Et
nous serons sûrement nombreux à en acheter. Notre risque d’accident n’aura pas
changé, mais nous respecterons le règlement et nous éviterons ainsi l’amende.
Le sociologue et philosophe des sciences français Bruno Latour auquel
l’Université de Montréal vient d’accorder un doctorat honorifique a écrit qu’on
n’arrive pas à savoir ce qui inquiète le public, « les mêmes qui s'affolent pour
la qualité de leur viande pouvant conduire à tombeau ouvert sur l'autoroute ou
fumer comme des pompiers. »
Ceux qui sont en position de le faire doivent contribuer à accroître chez nos
concitoyens la compétence de prendre des décisions éclairées sur leur propre
santé et sur leur propre sécurité. Il faudrait que cesse notre recherche de
moyens de contourner les initiatives visant à réduire les risques auxquels nous
sommes exposés. Il faudrait que l’objectif de réduction de ces risques ait
préséance sur celui du maintien de nos habitudes hasardeuses avec pour seule
préoccupation le respect de la lettre des règlements. Être informé, c’est être
libre disaient André Laurendeau et René Lévesque. Ce serait bien si être informé
signifiait aussi s’approprier les moyens réels de réduire les risques.