Être informé, c’est être libre et, parfois, vivant |
|
Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans Travail et santé 22(4) : 25, 2006 |
Accueil |
Quelques événements et échanges récents avec des collègues sont venus me rappeler l’importance cruciale du pont à établir entre les connaissances scientifiques et techniques et leur application à la protection de la santé publique. D’abord, le tragique accident en Montérégie l’été dernier au cours duquel un travailleur a perdu la vie au fond d’une enceinte confinée, asphyxié par l’argon provenant de son équipement de soudage. Un collègue se précipite à sa rescousse et y meurt également. Comble de malheur, une secouriste vient en aide aux deux hommes, mais elle aussi sera sortie sans vie de ce funeste réservoir. Et pourtant, on sait que l’argon est un asphyxiant, on sait qu’il est plus lourd que l’air et qu’il peut ainsi déplacer l’air d’un réservoir où il est utilisé, y abaissant la concentration d’oxygène en deçà d’un seuil critique. On connaît les procédures de sécurité à adopter lorsqu’il est utilisé dans un pareil contexte. Sans se livrer à une analyse de ce tragique événement, ce qu’on peut faire ressortir ici, c’est le hiatus entre les connaissances scientifiques et techniques et leur application. Deuxième situation, bien réelle, mais qu’on me permettra de décrire uniquement en termes généraux. Une organisation soucieuse de la santé de travailleurs potentiellement exposés à une dangereuse substance chimique, prépare une trousse d’information à leur intention. Le but est évidemment de leur permettre de prendre les moyens de protection et d’adopter les attitudes qui s’imposent pour éviter une atteinte à leur santé. Une étude subséquente visant à mesurer ce que ces travailleurs ont retenu de l’information qui leur a été transmise révèle des carences incroyables dans leur connaissance et dans leur compréhension des risques auxquels ils s’exposent. Pourtant, ils savaient … ou plutôt on croyait qu’ils savaient. Les outils de formation et d’information étaient-ils adéquats? Comment s’assure-t-on que les connaissances transmises sont effectivement maîtrisées? Troisième situation. Une grande organisation dont le mandat comprend la protection de la santé publique connaît des difficultés dans la gestion de certains de ces dossiers. Pourquoi? Outre la méfiance possible des décideurs à l’égard des scientifiques, il y a aussi que ces derniers ne sont généralement pas formés à la communication d’information en termes vulgarisés et qu’en conséquence ils ne sont pas toujours bien compris. Dans un intéressant rapport publié l’été dernier, Louise-Hélène Trottier et François Champagne ont étudié le phénomène de l’utilisation des connaissances scientifiques[1]. Les auteurs y passent en revue les modèles d’utilisation des connaissances, les obstacles structuraux et comportementaux à leur utilisation et les stratégies proposées pour contourner ces obstacles. Une lecture à recommander aux préventionnistes, du scientifique chercheur au gestionnaire en passant par tous les intervenants de terrain. Aussi centrale soit-elle à la prise de décision éclairée, la science ne sert pas à grand-chose si on ne sait pas comment transformer ces savoirs en réels outils de prévention.
Claude Viau
[1] Louise-Hélène Trottier et François Champagne (2006) L’utilisation des connaissances scientifiques : au cœur des relations de coopération entre les acteurs. http://www.gris.umontreal.ca/rapportpdf/R06-05.pdf, consulté le 18 septembre 2006