II - LA RECHERCHE EN ARCHIVISTIQUE (suite)

CHAPITRE 3 - ÉTAT DE LA QUESTION



1. L’IMPORTANCE ET LA DÉFINITION DE LA RECHERCHE EN ARCHIVISTIQUE


1.1 Importance de la recherche en général

Le budget accordé à l’activité " recherche et développement " par les organisations ne laisse aucun doute sur l’importance de la recherche en général. Comme le souligne Robert Garon, les dirigeants " ont appris que dans les champs de l’activité humaine, le progrès résulte du développement des connaissances " (1990, p. 17). Mais la recherche n’est pas une activité qui exige seulement de l’argent et des cerveaux: " elle exige aussi une culture, une ambiance et un milieu qui favorisera au maximum son épanouissement " (1990, p. 17). Et pour qu’elle soit efficace, il importe qu’elle porte sur un objet d’étude accessible et bien identifié.

En plus d’exiger des ressources humaines, matérielles et financières, un milieu adéquat, un certain esprit, voire une culture, la recherche a besoin qu’on consigne ses résultats, qu’on les transmette, bref qu’on les diffuse à l’aide de différents moyens tels que les revues savantes, les congrès et colloques, l’enseignement universitaire. En effet, sans moyens de diffusion, les efforts de la recherche destinés à faire avancer les connaissances seraient vains.

Il n’est pas exagéré de conclure, avec Robert Garon, que " le développement d’un peuple, d’un groupe social, d’une entreprise ou d’un champ de la connaissance passe par la recherche " (1990, p. 18). Mais en plus de développer les connaissances relatives à un certain nombre d’objets d’études, la recherche joue un rôle fondamental sur le développement même de la discipline au nom de laquelle elle s’accomplit (Stephenson, 1991, p. 145). D’où toute l’importance de la recherche en archivistique.


1.2 Importance de la recherche en archivistique en particulier, et de son rôle sur le développement de la discipline archivistique

La recherche en archivistique s’exerce dans des conditions particulières, des conditions de multidisciplinarité qui impliquent, entre autres, le records management, l’histoire, l’administration, l’informatique et la bibliothéconomie. Compte tenu de ces conditions, il est peut-être légitime de se demander, comme le fait Robert Garon (1990, p. 23), s’il y a nécessité d’une recherche originale en archivistique. Ne devrait-on pas plutôt récupérer les résultats de la recherche entreprise dans les autres disciplines et les appliquer à l’archivistique? Pour répondre à ces interrogations, il faut au préalable déterminer si l’archivistique a un objet, une finalité et une méthode qui lui sont propres. Autrement dit, pour que la recherche soit possible en archivistique, il faut déterminer si cette dernière a atteint le statut de discipline qui " justifie que la société lui consacre des cerveaux " (Garon, 1990, p. 23).

Pour Robert Garon (1990, p. 23-24), il est établi que l’archivistique a un objet qui se distingue des disciplines connexes: l’information consignée organique. Elle applique aussi des méthodes qui lui sont particulières, telles que des normes et critères, des délais de conservation ainsi que des règles de sélection des documents. Quant à la finalité de l’archivistique, son originalité ne fait aucun doute: " la conservation et l’utilisation de l’information à des fins différentes de celles pour lesquelles elle a été produite " (1990, p. 26). Toutefois, ces arguments ne suffisent pas en eux-mêmes à justifier l’importance de la recherche en archivistique. Pour cela, il faut encore démontrer l’utilité sociale de l’archivistique, son autonomie par rapport aux disciplines soeurs. Mais cela, conclut Garon, " vaut bien une génération de recherche " (1990, p. 28).

Pour d’autres auteurs (Cardin, 1994; Gracy, 1994), la recherche en archivistique est d’autant plus importante que cette discipline vient d’entrer dans une phase d’exploration, phase que David B. Gracy II compare métaphoriquement à celle de Christophe Colomb et des grandes découvertes géographiques. D’après l’auteur américain, quatre phénomènes sont susceptibles d’expliquer cette phase exploratoire de l’archivistique (1994, p. 520). D’abord, l’informatique a donné à l’humanité de nouveaux moyens de créer, d’utiliser et de conserver les archives. Ensuite, l’archiviste, en intégrant le records management à son expertise – notamment au niveau de la gestion des archives intermédiaires – a développé des compétences dans le domaine du traitement des documents et de la gestion des services spécialement conçus à cette fin. Puis les archivistes, en s’ouvrant à d’autres activités - comme les relations publiques, par exemple - sont devenus conscients du rôle qu’ils jouent dans la société (Gracy, 1994). Enfin, l’utilisation massive de nouveaux supports pose des défis en matière de préservation des documents, entre autres, que seul l’archiviste est en mesure de relever.

Pour David Gracy, l’état de la recherche en archivistique est étrangement similaire à celui du navigateur Colomb lorsque, après un long séjour en mer, il aperçut des terres où il n’avait jamais posé les pieds. À l’instar de Christophe Colomb à l’aube du 15e siècle, l’archiviste sait-il où ses recherches le conduiront? C’est la question que pose Gracy, et la réponse se trouve sans doute dans la manière dont les archivistes se représentent eux-mêmes leur profession (1996).


1.3 Caractérisation de la recherche en archivistique

Démontrer l’importance de la recherche en archivistique demeure un exercice assez aisé, la plupart des auteurs consultés s’accordant sur le fait que la recherche s’avère essentielle au développement de la discipline. Toutefois cet accord, voire ce consensus, devient soudain plus fragile lorsqu’on s’arrête à caractériser la recherche en archivistique, à définir ce qu’elle est et, surtout, ce qu’elle doit être.

Pour César Munoz, par exemple, la recherche en archivistique doit tenir compte des trois éléments suivants (1994, p. 530-531): 1. La recherche doit s’inscrire dans le cadre d’un projet et, ce faisant, doit poursuivre des objectifs concrets; 2. La recherche est entreprise dans le but d’en apprendre davantage sur un sujet précis et, à ce titre, elle doit se préoccuper de l’utilisation de ses résultats; 3. Le coût de la recherche doit être évalué avec réalisme. Ainsi, pour cet auteur, les incidences pratiques de la recherche sont d’une grande importance en archivistique (1994).

Mary S. Stephenson rejoint Munoz lorsque celui-ci insiste sur les aspects pratiques que doit prendre en compte la recherche en archivistique. Toutefois, Stephenson soulève moins le problème des incidences de la recherche que celui du milieu dans lequel elle s’accomplit (1991, p. 146-147). Se référant à la bibliothéconomie, cette dernière décrit le phénomène de la dichotomie qui survient entre les chercheurs et les praticiens, phénomène qui conduit les membres d’une même profession à vivre dans des milieux distincts. Plusieurs causes peuvent être invoquées pour expliquer ce phénomène. L’une d’entre elles réside dans le fait que d’aucuns considèrent que la bibliothéconomie souffre de manque de fondements théoriques. Des raisons reliées à l’étroitesse de la pratique sont aussi invoquées (Stephenson, 1991, p. 148).

En archivistique, la situation semble être différente puisque, en dépit d’une longue tradition, son développement s’avère plus récent que celui de la bibliothéconomie et que son corpus théorique s’avère plus diversifié (Stephenson, 1991, p. 149). Surtout, l’auteur constate que le " mur " n’existe pas encore puisque les chercheurs et les praticiens travaillent de concert, quand il ne s’agit pas des mêmes individus. L’auteur constate aussi que les résultats de la recherche sont connus, voire mis en pratique par les praticiens eux-mêmes. La recherche en archivistique, conclut Stephenson, doit éviter d’emprunter le modèle de la bibliothéconomie. Pour cela, les milieux archivistiques doivent faire en sorte que l’écart entre les chercheurs (obligés de publier pour satisfaire les exigences universitaires) et les praticiens (forcés d’obtenir des résultats concrets dans leur travail) ne s’accroisse pas outre mesure (1991). Quelques années plus tard, Barbara Craig corrobore en tous points les idées de Stephenson, notamment en insistant sur le lien qui doit se tisser entre les universitaires et les milieux de travail. (1996).

David Gracy, de son côté, estime que la recherche en archivistique doit s’effectuer en tenant compte des cinq conditions suivantes: 1. La recherche en archivistique doit aller au-delà de la simple description d’événements: elle nécessite une méthodologie adéquate, telle que l’analyse comparative, statistique, qualitative ou historique; 2. La nature archivistique de l’information doit constituer un champ de recherche prioritaire; 3. La recherche en archivistique doit recourir aux sciences de l’information, surtout en ce qui à trait aux documents électroniques; 4. La recherche en archivistique doit prendre une dimension internationale; 5. Des efforts systématiques doivent être déployés pour trouver les fonds nécessaires au financement de la recherche.




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Dernière mise à jour : 11 janvier 2000