TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - Édition de Guy Laflèche TGdM

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Introduction Auteurs OEuvres Chronologie


Troisième des six rêves de Morise
dans la Révolution surréaliste
Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie

Max Morise, la Révolution surréaliste, no 5, section « Rêves », 15 octobre 1925

I

      Les personnages de ce rêve datent de quelques années. Mon père et ma mère sont encore dans la force de l'âge, mes frères et soeurs encore jeunes. Pour moi, je suis tel qu'aujourd'hui. Ma famille constitue, avec quelques personnages que je ne me rappelle pas avoir jamais rencontrés à l'état de veille, une association de conspirateurs. L'action se passe dans une ville de proportions restreintes. Chaque quartier, maison ou rue de cette ville est figuré par une petite chambre ou une portion de jardinet limité de murs. Le tout tient sur les pentes de l'un de ces monticules sillonnés d'allées tortueuses que l'on voit dans certains jardins publics et que l'on qualifie pompeusement de labyrinthes. L'exiguïté des lieux et la pénombre qui y règne contribuent à nous pénétrer d'un insupportable sentiment d'oppression. La place la plus vaste du pays est une terrasse qui domine la mer; c'est l'endroit de prédilection où nos oppresseurs (la presque totalité des habitants) viennent en plein soleil étaler leur luxe et leur insolence. Mon père, le chef de la conjuration, a dû s'exiler à Cannes, ville que dans les lettres qu'il nous fait parvenir secrètement il nomme Bazan pour égarer les recherches de la police. Ces lettres contiennent de magnifiques exhortations à la patience et au courage et, lorsque nous nous réunissons en grand mystère pour en faire lecture, elles nous arrachent des larmes d'émotion et de rage. Dans les lieux publics, par exemple à table, les conjurés doivent faire semblant de ne pas se connaître afin de ne pas donner prise aux soupçons des ennemis. Malheureusement il y a des gaffeurs qui laissent paraître leur indignation lorsqu'un des conspirateurs est arrêté ou malmené, et mes frères et moi sommes obligés de les rappeler à l'ordre par signes ou en faisant : Chut ! Je ne me rappelle que quelques épisodes de cette lutte contre le pouvoir établi. Une fois je passe dans un vestibule avec un de mes frères qui ne manque pas d'astuce pour bafouer les espions; je l'engage à une extrême prudence car j'ai l'impression que nous sommes épiés. Et en effet, je ne tarde pas à apercevoir derrière une porte une tête qui se dissimule mal. Je monte sur un échafaudage de chaises et je me laisse tomber sur la porte qui se brise et démasque trois femmes, parentes et amies de ma famille qui ne m'ont jamais été sympathiques; elles ne savent comment se disculper du flagrant délit d'espionnage; je triomphe. Une autre fois je pars en mission avec un ou deux compagnons. Nous quittons la ville minuscule et nous arrivons, par contraste, sur une large et longue route bordée de très hauts arbres et traversant d'immenses champs que nous devinons s'étendre à perte de vue, car la nuit est obscure. Mais notre départ a été éventé; on lance à notre poursuite les automobiles des pompiers. Nous nous dissimulons dans un champ de blé d'où nous pouvons observer les phares des rouges voitures et les casques luisants de ceux qui les montent sillonnant les routes nocturnes; les trompes avertisseuses exécutent des airs très mélodieux où les deux notes qui annoncent habituellement le passage des pompiers ne reviennent que rarement et comme matière à broderies; chaque voiture est munie, à la façon des arroseuses municipales, d'un dispositif qui envoie au loin de part et d'autre de la route de larges gerbes d'eau; les pompiers, à la vue desquels l'obscurité nous dérobe, battant toute la campagne, espèrent ainsi nous atteindre; mais notre abri est bien choisi et nous échappons aux gouttes d'eau. Au bout d'un long moment, nous entendons enfin les pompiers bredouilles s'en retourner vers leurs casernes. Le coeur léger du péril évité, nous poursuivons notre mission.


Références

La Révolution surréaliste, no 5, Paris, Éditions Jean-Michel Place, réimpression, 1975, p. 11-12.

Édition originale

La Révolution surréaliste, no 5, Paris, Gallimard, 15 octobre 1925, p. 11-12.



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